L’analyse du déroulement de l’éruption de janvier 2002 montre l’étendue des avancées obtenues en une vingtaine d’années d’existence de l’observatoire volcanologique. Mais chaque pas en avant dans la compréhension du fonctionnement du piton de la Fournaise ouvre la porte de nouveaux domaines de recherche sans laquelle la stricte surveillance du volcan n’aurait pas de signification. Et finalement, prévoir les éruptions n’est sans doute pas aussi simple que chacun pourrait le croire.
- 400 jours de permanence depuis 1998
L’observatoire volcanologique se trouve confronté, en raison de la recrudescence de l’activité du volcan, à un problème tout simplement humain : les neuf éruptions enregistrées entre 1998 et 2002 ont nécessité 400 jours (nuits…) de permanence, en plus des tâches de routine impératives (astreintes de week-ends et jours fériés à l’observatoire, toute l’année). Le tout assuré par six des membres de l’équipe, forte de neuf personnes, toutes catégories confondues. La réduction du temps de travail ? En vigueur officiellement, elle est “inacceptable pour le fonctionnement de l’observatoire”, indique son directeur dans le rapport transmis à ses partenaires et dans lequel il réclame une solution d’urgence.
- Recherche sous surveillance
Patrick Bachèlery, responsable du laboratoire des sciences de l’université de la Réunion, chercheur associé à l’observatoire volcanologique, livre son analyse devant le comité de liaison annuel : “Les gens sont un peu nostalgiques des années 60 où, avant l’arrivée de la route au pas de Bellecombe, guère plus de quelques dizaines de personnes montaient chaque année au sommet du volcan”. “Aujourd’hui, poursuit-il, plusieurs centaines de personnes s’y rendent certains jours”. Fort de ce constat, même si les scientifiques ont bien précisé qu’ils laissaient à la préfecture le soin de gérer en dernier ressort les conditions d’accès au site en période d’éruption, la surveillance du volcan et la sécurité des personnes et des biens sont devenues qu’on le veuille ou non un enjeu majeur dès que l’on parle du piton de la Fournaise aujourd’hui.
- La leçon de Piton Sainte-Rose
Étudié dès le tout début du XIXe siècle, notre volcan est pourtant resté longtemps ignoré. Seule l’éruption hors enclos qui ravagea Piton Sainte-Rose en 1977 fut capable de faire sortir de leur léthargie les décideurs de la Réunion et de les convaincre de la nécessité de construire un observatoire à la Plaine-des-Cafres, ce qui fut fait fin 1979. Cet épisode dramatique pour les habitants du village fit donc au moins le bonheur des chercheurs…
Vingt-cinq ans après exactement, en janvier 2002, le piton de la Fournaise allait-il récidiver ? En ce soir du 5 janvier dernier, on n’en mène pas large à Sainte-Rose. Tandis que l’observatoire volcanologique suit au fil des heures une crise sismique comme jamais il n’en a connu, le sous-préfet de Saint-Benoît réunit autour de lui les services de l’État et le maire de la petite commune de l’Est. Raison de leurs craintes : depuis 16 h 40, la sismologue Valérie Ferrazzini, rivée devant son écran, leur décrit en direct la migration souterraine du magma dans le rift nord-est du massif. Une information plutôt inquiétante puisque la crise s’éternisant, le risque d’une sortie du magma à basse altitude et donc en dehors de l’enclos se précise au fil des heures.
Finalement, on le sait, une première phase éruptive débute en fin de soirée, dans l’enclos, non loin du Nez coupé de Sainte-Rose. Soulagement, provisoire seulement. Car, une semaine plus tard, au cours d’une seconde phase, le magma jaillit à 1050 m d’altitude, dans la plaine des Osmondes, d’une fissure située au pied du rempart qui constitue la limite de l’enclos du volcan. En réalité, la fissure s’était sans doute déjà mise en place dans cette zone fracturée lors de l’intrusion du 5 janvier, le magma s’y s’injectant sans difficulté. “Il est évident, note Tomas Staudacher, directeur de l’observatoire volcanologique, que cette éruption (…) réunit toutes les caractéristiques d’une éruption hors enclos de type 1977. Par des circonstances heureuses, le magma a été drainé vers l’enclos et le tunnel de lave de la plaine des Osmondes a permis un débit suffisamment important pour vider le réservoir de magma, sans nécessiter l’ouverture de nouvelles fissures”. Ce sont ces coulées qui se sont déversées deux jours durant dans l’océan Indien après avoir enseveli le site de la Vierge au Parasol, du 14 au 16 janvier. Mais Bois-Blanc, épargné, pouvait respirer.
- Prévenir plutôt que subir
Vingt-cinq ans plutôt, l’observatoire n’existant pas, les autorités avaient dû se résoudre à subir les événements : après une coulée dans l’enclos, une série de phases éruptives menace en effet les villages de Bois-Blanc puis de Piton Sainte-Rose, évacués dans la confusion au fur et à mesure de l’apparition des coulées de lave dans les hauts de ces deux localités… En janvier dernier, confrontée à une importante sismicité permettant de redouter des épisodes éruptifs hors enclos, la préfecture organise donc à titre préventif et de façon méthodique l’évacuation des habitants. Pour rien, assurément, mais qui aurait pu le prévoir ? C’est bien là où le bât blesse encore, malgré les moyens de contrôle de l’activité disponibles (lire ci-dessous : les incertitudes de la prévision).
C’est ici qu’on retombe sur le rôle de surveillance assigné à l’observatoire. Depuis vingt ans, l’élargissement du réseau de capteurs a permis le recueil en continu d’une quantité de données phénoménale. Un travail qui permet à l’observatoire de la Réunion de ne pas déparer, loin de là, avec d’autres observatoires beaucoup plus anciens et largement mieux dotés, comme celui d’Hawaii, en terme de résultats de recherche. La fréquence de ses éruptions ( plus de 35 en une vingtaine d’années ) a fait du volcan réunionnais le volcan-laboratoire idéal pour de nombreux chercheurs français et étrangers. Et on se bouscule aujourd’hui, toutes disciplines confondues, pour travailler au chevet du piton de la Fournaise, au point qu’un tri doit être effectué parmi les candidats stagiaires. Ce retour sur investissement peut constituer une source légitime de satisfaction. Mais à l’heure où le gouvernement restreint les budgets de certains ministères, la recherche ne risque-t-elle pas de faire les frais de la morosité ambiante ?
Même si l’Institut de physique du globe et le conseil général assurent vouloir conserver le cap, la marge de progression de l’observatoire volcanologique pourrait en pâtir. Une politique d’économie ne pourrait que ralentir l’émergence de nouveaux projets et freiner les initiatives, craignent les scientifiques.
- Les incertitudes de la prévision
Comme le précise tout d’abord en substance Claude Jaupart, directeur de l’Institut de physique du globe de Paris “la surveillance ne serait rien sans la recherche et vice-versa : les deux sont étroitement liées”. Et pour simplifier la problématique de la prévision d’une éruption volcanique, du cheminement du magma, de l’endroit où il va jaillir, le physicien fait appel à l’image d’un pare-brise de voiture que frappe une pierre : comment la fêlure se propage, sur quelle longueur, en observant quelle direction ? Autant d’inconnues qu’il faudrait résoudre en tenant compte de l’environnement du pare-brise : notamment son mode de fixation sur la carrosserie de la voiture, le joint qui joue le rôle d’amortisseur… Rapporté à la prévision volcanologique, poursuit le scientifique, il faut donc tenter de comprendre les déformations du terrain que détecte le réseau de surveillance de l’observatoire en fonction des champs de contrainte existants et de leur modification, pour expliquer pourquoi le magma se propage dans une certaine direction et à une certaine vitesse. Tout cela fait appel à la mécanique et à l’hydraulique, à la recherche fondamentale, appuyés sur des années d’observation instrumentales, un travail de très longue haleine.
D’où ce constat de prime abord surprenant : “On est incapable de prévoir une éruption plusieurs mois à l’avance”, lâche Claude Jaupart, pas plus qu’on ne peut annoncer à long terme où le magma pourra sortir… Un aveu d’humilité à tempérer toutefois : si l’observatoire s’est rarement risqué à de tels pronostics, sauf en interne, il a bien annoncé toutes les éruptions du piton de la Fournaise, qu’on se rassure.
François Martel-Asselin (journal de lîle de la Réunion)