Aline Peltier, Directrice de l’Observatoire de volcanologie de la Réunion
(Photographie de l’Express de l’Ile Maurice)
L’observatoire de volcanologie de la Réunion vient de fêter ses 40 ans, nous sommes le 1er juillet 2021, et nous avons souhaité prendre un peu de recul avec sa Directrice, Aline Peltier, pour mieux comprendre l’évolution du travail des scientifiques de la Plaine des Cafres. C’est aussi l’occasion de faire un bilan et d’envisager l’avenir de cette structure.
Fournaise.Info : Qu’en est-il du projet d’un nouvel observatoire ? ce projet est-il toujours valide ?
Aline Peltier : Oui, la volonté est triple : la ville du Tampon souhaite que l’on reste sur Bourg-Murat, soit à l’emplacement actuel, soit en se rapprochant de la Cité du Volcan, sur sur un terrain de l’ONF à proximité. La Région Réunion et l’Etat sont également favorables à ce projet.
FI : et vous, que préfèreriez-vous ?
AP : se rapprocher de la Cité du Volcan nous semble très pertinent, car nous pourrions établir des passerelles et mutualiser nos compétences ; nos interventions avec les scolaires seraient aussi facilitées.
FI : un projet architectural est il déjà établi ? est il proche du magnifique observatoire des Antilles ?
AP : Non, rien de tout ça ! Le Maire du Tampon n’a pas apprécié l’esthétique de l’observatoire antillais (très moderne et futuriste) ; par ailleurs, les financeurs ne se sont pas encore concertés pour établir ce projet…
L’observatoire de volcanologie de Guadeloupe
FI : Aline, depuis combien d’années travaillez vous à l’observatoire ?
AP : je fais parte du personnel depuis 2013, mais je suis venue dès 2003 en tant qu’étudiante.
FI : si on prend un peu de recul, pourriez vous nous dire ce qui a changé dans vos activités ? l’évolution des techniques d’étude, le volume de travail…
AP : Le nombre de stations installées a considérablement augmenté depuis 2007 (suite à l’effondrement du Dolomieu) ; cela donne un travail supplémentaire d’installation et d’entretien sur le terrain. Mais bien sur…le personnel n’a pas beaucoup augmenté ! nous avons donc eu une surcharge de travail importante. En plus des activités de surveillance de la Fournaise, nous participons à de gros projets d’étude, et notamment des projets européens.
Et depuis peu, patatra ! arrive le volcan de Mayotte ! naissance d’un volcan et surveillance de son activité dans un site habité… Pour cela, 4 nouvelles personnes ont été engagées ; ces 4 techniciens travaillent aussi bien sur le volcan de Mayotte que la Fournaise, mais le travail est multiplié par 2 ! prenons l’exemple de la personne de garde : chaque jour elle relève les informations des 2 volcans ; autrefois on y passait environ 2 heures, maintenant c’est 3 ou 4 heures…
FI : et à Mayotte, le volcan est il déjà très appareillé ?
AP : j’ai fait le bilan dernièrement, nous avons 9 GPS, une dizaine de sismomètres, une station chimique, et les sismomètres de fond de mer qui ne sont pas traités en temps réel, ils sont remontés régulièrement. Et actuellement, il y a un gros projet de stations sous-marines permanentes jusqu’à 5 km du volcan (où l’on observe un fer à cheval et des panaches de fumée…)
Le lac Dziani est le vestige d’un des derniers cratères volcaniques de Mayotte (éteint il y a environ 500 000 ans). C’est à son pied, à une cinquantaine de kilomètres du rivage et 3,5 km de profondeur, qu’est apparu le nouveau volcan sous-marin début 2019
FI : Et le projet Hatari ? pouvez vous nous en parler plus précisément ?
AP : Ce projet est destiné à mieux appréhender l’archipel des Comores dans son ensemble ; pour comprendre Mayotte il faut comprendre l’ensemble des Comores. Nous souhaitons mettre davantage de surveillance sur les petites Comores et en rajouter sur la grande Comore.
Concernant Mayotte, on a longtemps cru que c’était un point chaud, mais les derniers travaux scientifiques auraient tendance à prouver que c’est une discontinuité lithologique ou une limite de plaques. L’état a fait confiance à l’IPGP via l’observatoire de volcanologie, pour surveiller un volcan et une éruption effusive très importante…cela prouve aussi que l’on a l’expertise pour effectuer ce suivi à distance.
FI : Au fil des années, les informations fournies par l’observatoire sont de plus en plus précises ; pour quelles raisons ?
AP : L’installation de nombreux sismomètres dans de nombreux territoires a permis d’obtenir beaucoup plus d’informations. Par exemple, à la Roche écrite, on ne savait pas qu’il y avait de la sismicité jusqu’à ce que l’on installe une station.
FI : Avec quels observatoires travaillez vous régulièrement ?
AP : Principalement avec celui d’Hawaï. Nous effectuons régulièrement des échanges de personnels, chaque année une personne d’Hawaï vient à la Réunion, et inversement. J’ai personnellement beaucoup travaillé à comparer les 2 volcans avec le GPS. Hélas, depuis le covid, ces échanges sont en stand-by…
FI : Depuis 20 ans, quel a été l’apport de l’informatique dans votre travail ?
AP : Le plus gros changement s’est fait sentir au niveau des astreintes : jusqu’en 2007, la personne concernée devait monter à la Plaine des Cafres et dormir sur un lit de camp ! depuis l’arrivée de l’informatique, la personne d’astreinte a accès à toutes les données depuis son domicile. La crise Covid a d’ailleurs permis de travailler en télétravail et de valider une nouvelle manière de fonctionner à distance ; même chez les volcanologues !
Les données informatiques sont beaucoup plus nombreuses et faciles à stocker sur des disques durs (et non pas sur du papier comme autrefois) ; on peut donc facilement les réutiliser, établir des modèles…
Depuis les années 2000, l’arrivée du GPS et des stations chimiques (concentration des gaz dans l’air et sous terre) et l’aide des satellites permettent des progrès rapides gigantesques.
FI : Quel est le rapport entre votre volume d’activité et le personnel de l’observatoire ?
AP : Nous sommes actuellement une quinzaine, et il faudrait que nous soyons deux fois plus nombreux pour surveiller ces deux volcans. A HawaÏ, ils sont 30, sur l’Etna ils sont 100 !
L’entretien des stations sur le terrain, un travail quasi quotidien
FI : Quelles en sont les conséquences ?
AP : Du coup, il faut prioriser nos projets. Pendant la dernière éruption, il y a eu pas mal de dégâts dus à la foudre et aux intempéries, nous avons donc beaucoup réparé sur le terrain. On a de ce fait mis en veilleuse un projet d’étude et de surveillance par drones qui va nous demander du temps. Il faudrait que l’on ait une année « blanche » pour pouvoir avancer.
FI : Mais depuis quelques années, vous n’avez pas souvent le temps de souffler !
AP : c’est vrai, 3 ou 4 éruptions par an, on ne chôme pas ! Depuis l’éruption de 2007, le système s’est effondré et l’édifice n’est plus cohésif. Les vidanges restent assez faibles ; pour vous donner une idée, si l’on compare le volume de lave de la dernière éruption d’avril 2021 avec celle de 2007, il y avait eu 20 fois plus de lave en surface (200 millions de m3). Cela explique ces nombreuses « petites éruptions » beaucoup moins importantes que celles qui ont précédé 2007.
FI : Dans un autre domaine, la rapidité de la circulation de l’information sur les réseaux vous pose t’elle problème ?
AP : (rires !…) Oui biensur, nous n’avons pas le droit de communiquer sur certains sujets car c’est la Préfecture qui communique en direction de la population. Quand un petit malin veut annoncer avant tout le monde que la Fournaise est en éruption, cela peut être lourd de conséquences… les internautes de plus en plus friands de grandes sensations vont vouloir aller très vite sur le terrain ; mais si la gendarmerie n’a pas le temps d’anticiper (sécurisation du site, barrières, centre de secours…) les gens peuvent faire n’importe quoi et prendre des risques… Les jeunes générations veulent faire le buzz, c’est à qui aura dit le premier « le volcan a pété ! »…