Le volcan autrefois…

Le volcan autrefois…
Les mémoires de JULES -OSCAR VITRY

 

 

Le 22 avril 2014, nous avons eu le plaisir de rencontrer Monsieur Vitry, un octogénaire « au bon pied » parmi les très rares natifs du Tremblet (dernier village avant l’enclos du volcan). Avec son fils, il nous a invité avec beaucoup de gentillesse dans sa case située à quelques centaines de mètres de la route des laves.
Voici quelques extraits d’une discussion informelle autour d’un bon café, riche en émotions et en vieux souvenirs…

Fournaise.info :
Monsieur Vitry, nous aimerions savoir comment les réunionnais vivaient le volcan autrefois. Aujourd’hui, le volcan est devenu un spectacle fascinant, mais avant ce n’était pas le cas. Le volcan était il plus dangereux ?

M.Vitry : C’était plus que dangereux ! on n’avait pas de radio ni de météo. Aujourd’hui la radio elle annonce la sortie de la lave, mais nous avant on était surpris ! parfois j’entendais le volcan péter ! (expression créole pour dire qu’il est en éruption !), la nuit on voyait les lueurs dans le ciel mais le jour on ne voyait pas du tout ! le soir la grosse rougeur apparaissait dans le ciel, mais le jour !…

F.I Mais il n’y avait personne qui vous prévenait ? même pas le Maire ?

M.V Mais le Maire, il était aussi ignorant que nous !

F.I Aujourd’hui on a du mal d’imaginer cela…

M.V Ben oui! comme là par exemple, s’il y a une éruption, qui connaît avant ? ce sera les « grands Messieurs » (les chercheurs et les têtes pensantes), la météo là-bas et nous on reçoit ça par la radio.

F.I Donc à chaque fois vous aviez peur quand ça commençait à péter ?

M.V En ce moment par exemple, moi je n’ai pas peur. Vous savez pourquoi j’ai pas peur ? parce que là-bas, les supérieurs (les spécialistes) ils savent avant nous, et s’il y a une urgence, le panier à salade (les gendarmes !) il vient et il nous déloge ! (rires!!)

 

Son Fils (55 ans) Lors de la coulée de 1986, moi je ne travaillais pas encore à l’ONF (Office National des Forêts). Je travaillais dans une plantation de canne à sucre, un petit peu plus haut là. J’avais le tracteur et tout le matériel qu’il fallait pour la plantation de la canne. Le jour où ça a passé (la lave est arrivée) j’étais en train de faire des trous pour planter des cannes, car avant on plantait à la main. J’étais encore là-haut, et il y a quelqu’un d’ici qui est monté pour me dire « eh attention, là il faut descendre et vite ! » Et bien là où j’ai planté, ça a été bouché par la lave, j’ai juste eu le temps de courir ! En plus de ça, à l’époque, nous avions deux maisons la haut. Une grande maison, et une plus bas que j’étais en train de construire avec ma femme.

F.I à quel endroit ? S.F à Citron Galé. Moi j’étais en train de construire la maison et ma femme me donnait un coup de main. La lave est arrivée et a tourné autour de la maison, les murs ont été tout tordus ! Moi je voulais retourner pour habiter dans ma maison, mais l’assistante sociale elle n’a pas voulu. Elle a dit Non, on va refaire une autre maison pour moi. F.I Et cette maison, elle existe encore ?

S.F Oui elle existe encore. Moi on m’a défendu de rester dedans mais il y a quelqu’un d’autre qui l’habite.

F.I Mais elle était à vous cette maison !

S.F La maison elle était à moi, mais j’en ai eu une autre en échange, alors j’ai pas cherché à savoir ! j’ai été indemnisé et voilà !

M.V Et puis il avait pas tellement envie non plus ! du moment que le volcan était passé et qu’il avait bordé la maison, lui il avait une petite maison tranquille…

S.F Et même la coulée 2007. La coulée 2007 elle est passée, et moi à l’époque j’allais le samedi et le dimanche pour planter un peu de palmier, de vacoa, tout ça… La lave est passée et elle est montée (fontaines de lave)… et elle est retombée ! J’ai tout perdu, 2000 pieds de palmistes, et les vacoas. J’ai essayé de revendre les vacoas, mais ils étaient pleins de sable dedans…

FI Nous avons pris des photos après l’éruption de 2007, et c’est incroyable comme tout était gris. Brûlé par des pluies acides…

 

Végétation du Tremblet en novembre 2007

 

S.F Ah ben on a perdu, on a perdu… Quand les gens disent « Ah Saint Philippe c’est joli ! » Oui c’est joli vraiment, mais moi personnellement je n’aime pas parce que ça m’a coûté cher. On n’a pas été indemnisé parce que il faut être assuré, et moi je ne faisais ça que le week-end ! Ce fut donc une perte sèche… Nous on était logé dans l’école du centre, en bas, on y a dormi quand même près de 15 jours et pendant ce temps les graviers tombaient sur le toit des cases en tôle !

F.I Et les derniers jours, il y avait des fontaines qui menaçaient de sortir de l’enclos ?

S.F Nous on travaillait pour refaire des sentiers, mais la lave elle montait… Et là-bas, il y avait au moins 80 à 90 mètres de haut ! là, il n’y a plus rien ! j’ai regardé

F.I C’était si haut que ça ?

M.V Ah oui ! c’était très haut. Il faut savoir une chose : à Piton Sainte Rose, Saint Gilles, Petite Ile, la Plaine des Palmistes… la terre a de la valeur. Mais nous ici, on fait une maison, elle est à nous. Mais si la lave passe, on n’a plus rien ! on est dans une zone rouge (zone à risques éruptifs, donc pas assurable) et on a la trouille…

 

 

F.I Mais vous n’avez pas une assurance pour la maison?

M.V Ah malheureux ! si c’est votre première maison que vous avez construite en dur mais si vous l’avez construite vous-même ? Et puis la lave quand elle reviendra….

S.F Moi je pense que la prochaine fois, elle passera ici…parce que là-bas, il n’y a plus de rempart, il n’y a plus d’enclos. Si c’est la même chose, il sera obligé de reverser par ici. Parce que là, c’était vraiment la plus forte éruption, on n’a jamais vu ça à la Réunion !

F.I Ceci dit, depuis 2007 on a quand même une période plus calme…

S.F Oui quand même. (silence) Mais on ne sait pas, on ne sait pas…. Il peut être bien gonflé dessous et puis… (rires)

F.I Oui pour vous, c’est une crainte quotidienne…

S.F Ben oui ! pas tous les jours vous imaginez bien, mais quand on passe comme ça, on y pense. Aujourd’hui on est là, mais demain matin si ça se trouve on ne sera plus là… Si on pense à nos biens, même si on n’a pas beaucoup de biens, on ne sait pas ce qu’on peut transmettre à nos enfants !

M.V Parce que si ça revient, la commune elle ne laissera personne dans la rue, elle va nous reloger à l’intérieur, à l’extérieur, une petite case…. mais c’est pas ça ! du moment que l’on est habitué…

S.F C’est pas pareil, c’est pas pareil… parce que nous ici, on a un poulet, on peut le mettre là, on peut le mettre dans la cour, on peut soigner le poulet. Si on a un p’tit cochon, derrière la maison, ben y mange comme ça. Mais là bas dedans, on n’aime pas ça, on n’est pas habitué à rester dans les grands bâtiments…

Le jardin

le café  » Bourbon pointu « 

Les fruits de la passion…

F.I Vous êtes habitués à vivre à la campagne…

M.V Oui oui ! Une fois j’étais parti 6 mois chez ma sœur à la Plaine des Palmistes. J’étais parti pour lui donner un coup de main bénévolement. Mais ça fait drôle pour moi, si je ne vois pas la mer. Ici je respire mieux !

F.I Vous avez un petit potager ici ?

M.V Ah Oui ! on a des longanis, on a des letchis, on a du Jacques, on a du coco , on a de tout !

F.I Et en 2007, ça a été abîmé ici ?

M.V ça a été abîmé un peu, mais ça passait encore.

F.I Et sinon, il y a eu une grosse éruption en 1948 ?

M.V Oui c’était au Grand Brûlé. C’était pratiquement la première coulée que je voyais, j’avais 18 ans. Mon Papa avait de la vanille, l’éruption a commencé à 2h du matin et l’après-midi elle est allée à la mer ! Il y avait une petite citerne vers la maison. On est parti voir vers 2h du matin, elle était partie avec !

F.I Et à l’époque, il y avait déjà du monde qui venait voir ?

M.V Non pas beaucoup, car il n’y avait pas de transport ! il y avait la charrette bœuf mais le temps qu’ils arrivent et c’était fini ! (rires) il y avait quelques badauds, ils venaient à pied, ils ne pouvaient pas faire ça tous les jours. Aujourd’hui c’est différent, quand le volcan i pete , ils viennent de Piton Saint Leu, Saint Louis, le Tampon… les voitures sont partout, il y en a au moins 3 kilomètres !

Une charrette bœuf comme il n’en existe plus beaucoup…

F.I Monsieur Vitry, dans toutes les éruptions que vous avez pu voir, il n’ y a jamais eu d’éruptions mortelles?

M.V Quand on était jeune, on n’approchait pas. On n’avait pas non plus d’appareil photo ! Le Père quand il faisait la messe, il demandait pour que le volcan il ait pitié et pour qu’il faiblisse. Mais quand il y a des curieux, il y a danger. Mais par contre en 1948, le volcan il était pas complètement refroidi là. Et notre vanille, les gens de Saint André et de Saint Benoit ils venaient la chercher. On prenait les sacs de vanille sur la charrette et on allait jusqu’à la coulée du volcan ; bon, ils prenaient le sac sur la tête et ils marchaient à pied. Le transport il attendait de l’autre côté de la coulée du volcan et il y avait 3 coulées ! Ils n’avaient pas de souliers non plus, ils avaient des souliers gonis (toile de jute autour des pieds…). Ben, y avait un Monsieur lui, il est passé avec son sac vanille. Il devait avoir 45 à 50 kgs sur sa tête, il a taté taté taté avec son pied pour partir. Le dessus il était en plaquette (c’était dur) mais en dessous l’était en sirop (c’était liquide…) La plaquette a sauté, lui il a coulé sans le sirop !

F.I Et il est mort ?! M.V Ah ben oui ! to to to to to to……… il est parti.

F.I Mais les gars, ils étaient obligés de passer par-dessus les coulées? S.F Ah oui, quand la récolte elle est avancée, il faut la traiter (ça ne peut pas attendre)

M.V Alors on a perdu beaucoup de vanille. Le peu qu’il restait, quand le volcan il a commencé à refroidir, les gens partaient avec une masse, une barre à mine…pour faire un chemin. Ils n’avaient pas de matériel ! Aujourd’hui ? le bulldozer il rentre la dedans et la semaine prochaine c’est bon ! Avant on faisait ça à la main, c’était dur hein ! il a fallu un an. F.I Un an pour rouvrir la route ?

M.V Ben oui, mais y avait 3 coulées! F.I Pour vous Monsieur Vitry, quelles ont été les coulées vraiment marquantes ? celle de 2007 ? M.V Ah oui 2007. Le volcan a commencé à peter, et la lave approchait approchait approchait… Mais vers 10 heures et demi 11 heures, les pompiers sont montés avec la voiture de la commune pour nous dire « rattroupez vos affaires et vos proches » et après on a été hébergés par la municipalité.

F.I Ce qui devait être pénible pour vous, c’était cette foule tout le temps présente la autour…

M.V Non, c’était fermé. Personne ne pouvait rentrer. Moi ce que je trouvais drôle ? ben, la route était fermée, nous on était dans l’école centrale en bas, y’avait les militaires pour faire la garde là. Mais les maisons elles ont été bien visitées (vols dans les maisons…)! ils passaient par la mer ou par la forêt. Les militaires montaient la garde pour les badauds, et le Maire a dit « ceux qui ont des poules des cabris ou des cochons, on va leur apporter du ravitaillement ». Et 7 ou 8 jours plus tard, il y a un délégué qui est sorti du bas et qui a donné dans les cours. Mais quand on est revenu là, il manquait beaucoup de choses ! on a été bien visités… ah oui, il manquait beaucoup de choses. Je ne sais pas par où ils sont passés…

F.I C’est terrible …

M.V Moi après je ne sortais plus ! Je préférais rester là. Redescendre là-bas pour faire quoi ? Le Père il a dit « on va faire une messe pour prier, pour faire revenir… (leurs biens) mais nous on est remonté mais on avait été dévalisés. F.I ça aurait pu être des gens d’ici ?

M.V Ben non, les gens d’ici ils étaient tous partis comme nous. Tous les gens d’ici, du Tremblet jusqu’à 2 ou 3 kilomètres vers Takamaka, ils étaient à Saint Philippe. Là-bas il y avait une cantine pour nous, on est resté au moins 12 jours…

F.I Sans jamais revenir ici ?

M.V Défendu ! certains ils voulaient remonter, halte là !! une fois, deux fois !! (éclats de rire…) Ah l’était comique… à vos ordres mon capitaine !!!

F.I Et avant 2007, il n’y a jamais eu de situation analogue ?

M.V Avant 2007, on est parti voir la coulée de Piton Sainte-Rose. En 1977, Moi avec un camarade on est partis en bicyclette. L’est pas bien loin Sainte-Rose (quand même 30 kilomètres…) Quand on est arrivé, le volcan il était…. Y avait un grand pont en béton et une boulangerie. Le volcan il a tordu (la coulée a tourné) et il a formé un petit bras. Le pont il était encore en place. Après avec la charge, il a gonflé, il a gonflé, il a gonflé….. Nous on a vu, le pont la bobé la bobé la bobé (il s’est bombé….) la monté la monté la monté…. Et PAF la peté ! plus de béton, il est parti à la mer. Et devant l’église Sainte-Rose là-bas ? la lave elle est descendue et elle a tourné autour de l’église mais elle est pas rentrée dans l’église ! c’est un miracle, le Bon Dieu il l’a préservée….

NB : Monsieur Vitry nous a raconté avec passion et humour ses souvenirs parfois dramatiques, nous vous proposons d’écouter un extrait de cette conversation en créole, pas toujours facile à comprendre quand on est un « zoreil » (métropolitain qui comprend difficilement le créole…et qui tend donc son oreille !).

ÉCOUTER UN EXTRAIT DE L’INTERVIEW

 

 

 

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Luc Souvet

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